Malgré la demande du préfet, Christian Estrosi refuse de retirer le drapeau israélien du fronton de sa mairie

Stéphanie Gasiglia Publié le 17/06/2025 à 21:06, mis à jour le 17/06/2025 à 22:23
Drapeaux étrangers indésirables. Le préfet des Alpes-Maritimes, Laurent Hottiaux, qui a remplacé Hugues Moutouh il y a un mois, vient de rappeler à l’ordre le maire de Nice, Christian Estrosi. Dans un courrier, le représentant de l’État rappelle l’interdiction de tout drapeau étranger dans les mairies, peu importe le pays. C’est une atteinte "au principe de neutralité du service public", rappelle Laurent Hottiaux au premier magistrat niçois.
Une circulaire pour tous les maires azuréensEntre les lignes, c’est bien évidemment le drapeau israélien qui flotte sur le fronton de l’hôtel de Ville de Nice qui est visé. Et il doit être retiré. "Nous préparons une circulaire pour rappeler l’interdiction de la présence de drapeaux étrangers sur les bâtiments publics à destination de tous les maires des Alpes-Maritimes", révèle une source en préfecture.
Christian Estrosi s’était engagé, le lendemain du 7 octobre 2023, a pavoisé la mairie avec le drapeau israélien et à le laisser flotter tant qu’il resterait un seul otage du Hamas à Gaza. La bannière blanche avec l’étoile de David bleue a d’abord été installée côté entrée du public. À la mort du pape François le 21 avril dernier, le drapeau de l’État hébreu avait été remplacé par celui du Vatican, puis pendant le sommet de l’Océan par celui des Nations unies. Le drapeau israélien ou plutôt les drapeaux israéliens n’ont pas bougé, en revanche, de la façade côté salle des mariages depuis l’attentat il y a 19 mois.
Plus de 50.000 morts à GazaCe jour-là, des hommes de l’organisation terroriste palestinienne Hamas, dans plusieurs attaques coordonnées menées en Israël, ont massacré plus de 1.200 personnes et fait plus de 250 otages. La plus terrible attaque de l’histoire d’Israël jamais subie sur son territoire. Il reste 52 otages à Gaza, mais seulement une vingtaine en vie, selon des sources officielles. Depuis, l’escalade du conflit israélo-palestinien - qui a fait plus de 50.000 morts à Gaza, dont des milliers d’enfants selon l’Unicef - a détruit des milliers de vies des deux côtés et déstabilisé toute la région.
"Christian Estrosi place la Ville de Nice en porte à faux avec la politique étrangère française. Il fait de la Ville de Nice un soutien inconditionnel de la politique de Benyamin Netanyahou et rend notre Ville symboliquement complice des atrocités subies par les populations civiles de Gaza", a réagi David Nakache, président de Tous Citoyens! membre du collectif Viva!, après le rappel à l’ordre du préfet.
"Qu’il s’exécute sans délai""C’est une posture inadmissible", s’emporte le militant. "Si Christian Estrosi maintient sa position, sans tenir compte d’une mobilisation citoyenne constante et du rappel à l’ordre par l’État, c’est qu’il est décidé à faire l’apologie des crimes de guerre, du crime contre l’humanité et du génocide en cours à Gaza", assène encore David Nakache. Depuis le début de la riposte israélienne sur Gaza, des manifestations pro palestiniennes sont organisées à Nice presque toutes les semaines. Des défilés qui, inlassablement, font un détour par la mairie et s’arrêtent sous le drapeau israélien, cœur des crispations, pour demander qu’il soit retiré ou que le drapeau palestinien soit hissé à ses côtés.
"Nous exigeons du maire de Nice qu’il se conforme à cette injonction du préfet et qu’il s’exécute sans délai dans l’intérêt de tous les Niçois", a tancé, de son côté le patron des communistes des Alpes-Maritimes, Julien Picot.
Le maire de Nice, n’a pas l’intention de céder... "J’ai effectivement reçu un courrier du préfet, mais il a eu aussi la délicatesse de m’appeler également hier [lundi]. Ce ne sont pas ses instructions mais les instructions gouvernementales. Et je lui ai répondu que j’étais désolé de lui dire non", entame Christian Estrosi. Qui insiste: "J’ai d’excellentes relations avec ce préfet. Il est dans ce rôle et je le comprends et je suis dans le mien". "C’est un refus au gouvernement, pas au préfet", martèle encore le maire de Nice (Horizons). "Depuis le pogrom déclenché par le Hamas, j’ai dit que je mettrais le drapeau israélien à la mairie et que je ne l’enlèverai que le jour où le dernier otage sera rendu à sa famille", explique le maire. "D’ailleurs ce jour-là c’était en présence de l’ancien préfet Moutouh, qui ne m’a jamais rien dit pour le drapeau", précise-t-il.
"Toute ma compassion aux victimes civiles"
C’est pour Christian Estrosi un engagement "moral et de conviction", lui qui, ajoute-t-il, "a dû gérer deux attentats à Nice". Il en est persuadé "le combat que mène Israël est un combat contre le Hamas, Daesh, l’État islamique, tout cela est la même organisation. C’est un combat pour nous protéger". Il n’entend pas l’argument de neutralité avancé par l’État. "J’ai des amis palestiniens qui me disent: libérez-nous du Hamas. C’est le combat de la liberté contre l’obscurantisme, contre le terrorisme, contre les Ayatollahs", jure Estrosi. Il s’emporte: "Qui utilise le drapeau palestinien? Ce n’est pas le PS, pas les Verts, pas le centre gauche, pas le centre droit, ni même l’extrême droite! C’est Mélenchon et les Insoumis! C’est Rima Hassan [députée LFI d’origine palestinienne". Le maire de Nice termine: "Toute ma compassion va aux victimes civiles au Liban, en Iran, à Gaza".
Depuis le 8 octobre 2023, jour où la Ville a hissé les couleurs israéliennes, plusieurs recours en justice ont été déposés devant le tribunal administratif pour réclamer le retrait de l’étendard de l’État hébreu sur le fronton municipal. Pour l’instant, la justice a rejeté "pour défaut d’urgence", un recours en référé introduit en mai 2024 par trois citoyens niçois.
Recours pour excès de pouvoir
L’autre recours "pour excès de pouvoir" suivi par Me Sefen Guez Guez pour Amira Zaiter et Hager Barkous, deux militantes pro palestiniennes, est en cours depuis le 22 janvier 2024. Entre-temps, Christian Estrosi a demandé au tribunal administratif de suspendre la procédure après la condamnation d’Amira Zaiter pour apologie du terrorisme. La jeune femme, co-fondatrice de l’association De Nice à Gaza avait écopé de trois ans de prison dont un an ferme. Elle a fait appel de cette décision. Le délibéré sera rendu le 25 juin.
Sept citoyens niçois en audience le 24 juin
Reste la procédure initiée le 29 mars dernier par sept citoyens niçois. Parmi eux, Christian Masson, président du Mrap06 (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) ou encore Sylvaine Bourquin, de l’association France Palestine Solidarité. Ils sont représentés par Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice... Et opposante de Christian Estrosi.
Les plaignants ont envoyé une lettre recommandée pour demander que le drapeau soit ôté de la mairie. Ils évoquaient alors "les évolutions du conflit et la position de la France au sujet du conflit israélien". "Si dans un premier temps, les drapeaux ont été exposés dans la volonté d’exprimer un message de soutien aux victimes et otages israéliens, les propos que vous avez tenus pour justifier leur maintien entrent a minima en contradiction partielle avec les déclarations et actes officiels de la France", décryptaient-ils dans le courrier.
Cette procédure leur permettait faute de réponse dans les deux mois de saisir le tribunal administratif pour excès de pouvoir. Ce qui a été fait le 7 juin dernier. Ce troisième recours sera examiné le 24 juin.
"Sur le fond nous sommes parfaitement recevables"
"C’est une jurisprudence archi-classique du Conseil d’État, un bâtiment public doit être neutre ou en corrélation avec la politique de l’État, sur le fond nous sommes parfaitement recevables", avance Mireille Damiano. Quant à l’injonction du préfet, elle note: "J’avais, il y a plusieurs mois déjà, sollicité l’ancien préfet Hugues Moutouh pour qu’il exerce son contrôle de légalité. Je n’ai jamais eu de réponse". Maître Damiano souffle: "Ce qui nous a moyennement étonnés puisque onze fois d’affilée, il avait pris des arrêtés d’interdiction des rassemblements du collectif 06 pour une paix juste et durable".
À Gennevilliers et Saint-Denis, le drapeau de la Palestine
Depuis quelques jours des polémiques au sujet de drapeaux pavoisant sur des façades de collectivités pleuvent. D’où le courrier du préfet Laurent Hottiaux à Christian Estrosi? "Je pense que ça peut être en rapport avec le drapeau palestinien qui a été hissé sur la mairie de Saint-Denis. Le préfet de Seine-Saint-Denis vient de demander qu’il soit enlevé avec l’argumentation de la neutralité du bâtiment public. Donc, ce serait quand même particulier qu'il y ait deux poids, deux mesures, en Seine-Saint-Denis et dans les Alpes-Maritimes, sur exactement le même affichage", note maître Mireille Damiano.
Idem dans les Hauts-de-Seine, où la préfecture a demandé le retrait du drapeau rouge, blanc, noir et vert hissé sur le parvis de l’hôtel de ville de Gennevilliers.
Var-Matin