Alain, 77 ans, roule au quotidien avec sa Citroën type B2 de 1921 : «Chaque dos-d’âne est un supplice»

DANS MON GARAGE - Chaque vendredi, des passionnés dévoilent au Figaro l’histoire de leur véhicule d’exception. Aujourd’hui, Alain Blazy, 77 ans, nous raconte la vie extraordinaire de sa Citroën Type B2 de 1921, que son oncle lui a transmis.
À 77 ans, Alain Blazy fait partie de ces passionnés qui ont transformé leur amour des voitures anciennes en véritable art de vivre. Ancien professeur de langues vivant près de Lille, il revenait chaque été dans sa ville natale de Foix pour retrouver son trésor : une Citroën Type B2 de 1921.
La possession de ce modèle d’exception, Alain Blazy la doit à son oncle Roger Delboy, notable ariégeois grâce à son entreprise de transports. L’homme avait marqué le jeune Alain en lui transmettant le virus automobile. Quand Roger découvre et utilise pour la première fois le modèle, à Saint-Girons (09) il réveille instantanément en lui des souvenirs profonds : cette voiture lui rappelait les camions Citroën de ses débuts, les premiers véhicules avec lesquels il avait bâti son entreprise. «C’était pour lui une madeleine de Proust mécanique», commente Alain.
Passer la publicitéEn 1970, le jeune homme terminait ses études outre-Manche. C’est à son retour d’Angleterre que Roger Delboy lui offre cette voiture en cadeau. Une surprise de taille pour celui qui venait de décrocher son diplôme de professeur de langues. À l’époque, il fallait souvent acheter des pièces pour reconstituer ces voitures anciennes, mais celle-ci était complète, avec même un démarreur électrique, équipement rare pour un modèle de 1921. Voilà pour le début de l’histoire.
54 années après, la centenaire rutile encore de sa carrosserie rouge et noire parfaitement conservée. Dans le garage d’Alain, la Citroën Type B2 témoigne d’une époque où l’automobile française s’adaptait aux besoins de chaque profession. Le modèle était décliné en versions spécifiques : pour les industriels, les docteurs, les avocats, chaque coupe correspondait à un métier. Celle d’Alain Blazy, une «Normande» à carrosserie bois, était destinée aux agriculteurs.
Le modèle est pensé en configuration utilitaire, avec ses deux places à l’avant et son plateau à l’arrière, permettait de charger des pots de lait ou des animaux pour le marché en semaine, puis de se transformer en voiture familiale le dimanche en ajoutant des sièges pour les balades ou la messe. C’était l’époque où Citroën révolutionnait l’industrie automobile française en lançant la première voiture produite en grande série dans l’Hexagone.
Malgré ses 104 ans, la voiture ne fait pas son âge. Sa force réside dans tous les petits détails techniques. Alain Blazy privilégie par exemple le démarrage à la manivelle «pour le plaisir et le côté sympathique du geste», même s’il dispose d’un démarreur électrique. La mécanique reste d’une simplicité remarquable, pas d’électronique, et des pièces qui tiennent bon : juste une segmentation changée au cours du temps, puis bien sûr le remplacement régulier des pneus pour des neufs.
Conduire cette centenaire relève de l’art. L’accélérateur au centre impose de ne pas confondre les pédales, le frein à droite et l’embrayage à gauche exigent une pression ferme. Les trois vitesses s’enclenchent avec la technique du double débrayage, manœuvre délicate qui demande de la pratique.
Passer la publicitéLe système de freinage, uniquement sur les roues arrière, nécessite une vigilance constante. «Il faut toujours enfoncer délicatement la pédale tout en actionnant simultanément la tige du frein à main», explique Alain. Les ronds-points et les virages deviennent des exercices de haute voltige. L’absence de suspension transforme «chaque dos-d’âne en supplice», les vibrations étant si importantes qu’elles peuvent dévisser les boulons.
«Mais une fois bien lancée, c’est du pur bonheur. La vitesse max est de 70 km/h, mais par sécurité, je roule moins vite, elle a quand même du mal dans les virages», raconte Alain. Lors de ses sorties en banlieue lilloise, Alain ne passe pas inaperçu, quand certains automobilistes font les yeux ronds, d’autres s’arrêtent pour admirer la mécanique et partager leurs souvenirs d’enfance, certains brandissent un pouce en l’air en guise de sympathie.
Depuis 54 ans qu’il possède cette voiture, Alain Blazy reste le seul à la conduire : «Elles sont difficiles à conduire, ce qui fait le charme ! Nous, on est sensible à ça, contrairement aux jeunes générations. Il y a une finition, un tableau de bord en alu, une recherche très poussée, une conduite particulière...»
Pourtant, elles ont perdu de leur valeur. «Ces voitures sont moins cotées maintenant, elles intéressent moins les jeunes collectionneurs», tempère le septuagénaire. Selon lui, il y a une scission entre lui et les jeunes qui préfèrent les voitures d’après-guerre, celles des années 60, 70, 80. Les Madeleine de Proust ne se choisissent pas.
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