« C’est un projet un peu barjo » : après 88 ans de silence, ces bénévoles font de nouveau sonner la cloche de leur église

Férus de patrimoine, des habitants de Cocumont (47) se sont battus pour redonner une âme au clocher de leur havre de paix
Le soleil tombe peu à peu sur la petite église cachée dans un coin de Cocumont, en Lot-et-Garonne. Le chemin qui y mène est encore peu praticable en voiture, mais on peut s’y rendre aisément à pied après avoir délaissé son véhicule en bord de route. L’endroit est encore secret, à l’ombre des chênes, mais peut-être plus pour très longtemps tant les bénévoles de l’association Cocumont mémoire et patrimoine s’acharnent à rénover ce patrimoine, au charme désuet.
ObstinésOn a beau chercher une histoire sentimentale qui relie cette poignée d’hommes obstinés à l’édifice religieux, un symbole, une promenade d’enfance, une madeleine de Proust. Il n’en ressort aucun souvenir, aucune évocation. Juste le goût de la conservation du patrimoine et de la transmission, que cultive Denis Mourguet, le président du collectif. « C’est un endroit calme pour passer du temps, qu’il faut préserver », juge le responsable de bureau d’études dans une entreprise de BTP.

Pierre Kumurdjian
En cette fin juin, l’homme regarde la cloche de l’église, avec fierté et un large sourire. Depuis plusieurs mois, avec ses acolytes retraités, qui ne sont pas, eux, issus du bâtiment, il œuvre au retour de celle qui avait disparu de l’édifice en 1937, il y a quatre-vingt-huit ans. À l’époque, le lieu de culte était en perdition et le curé Lartigue prend la décision d’installer la cloche dans une autre église : celle du bourg. Elle y demeure encore, car trop difficile à déplacer du clocher.
L’association a donc décidé de récupérer un autre carillon, issu de la chapelle des Pénitents blancs, et abandonnée à son sort depuis la destruction de la chapelle dans les années 1860. Les ferrures d’origine ont été réutilisées et l’objet a bénéficié d’un brin de toilette avant de se montrer en public.
« C’est un endroit calme pour passer du temps, qu’il faut préserver »Pour les obsèques du pape François
À deux bénévoles, ils ont patiemment remonté la cloche pour la faire tinter après quatre-vingt-huit ans de silence. Rien que ça. « On s’est fait violence pour porter 80 kilos », raconte encore Denis Mourguet. Il ne manquait plus que le marteau qui dormait chez un ferrailleur du village. « À la base, l’idée, c’était qu’elle soit remise en place pour Pâques, mais le temps pluvieux ne l’a pas permis. Elle a finalement sonné de nouveau le jour des obsèques du pape François, le 26 avril, pour redonner une âme à ce clocher au milieu de ce bosquet », raconte encore Denis Mourguet. Les hommes n’ont pas fait couler de larmes, mais un peu de boisson pour célébrer ce moment joyeux.
Depuis, l’ingénieur n’a pas besoin d’occasion ou d’excuse particulière pour dompter l’échafaudage menant au carillon. « Je l’ai fait sonner mardi soir en sortant du travail », avoue le président. Il retentira une fois de plus dimanche 29 juin, pour la fête à Briolet, où tous invitent « à se taper la cloche » (1).
La cloche n’est qu’une pierre à l’édifice portée par ces membres entêtés qui, tous les samedis, après une semaine de labeur, gagnent le chantier de l’église de Saint-Gervais et Saint-Protais, à laquelle ils comptent bien rendre ses lettres de noblesse. En 2004, le coût des travaux pour sa réfection avait été jugé trop exorbitant par le Département de Lot-et-Garonne.
Avec leurs deniersDu coup, le débroussaillage a débuté en 2015. « On a déboisé, enlevé les ronces et cela fait trois ans que l’on restaure tous les murs de l’église avec un bâtisseur de pierre pour la sauver de la ruine. Nous étions une quinzaine, mais seuls nous six sommes les plus investis. C’est un projet un peu barjo », lâchent les bénévoles, qui ont utilisé 170 sacs de chaux pour restaurer cette ancienne annexe de la paroisse de Cocumont. Avec leurs deniers pour financer l’ensemble et une aide de 1 500 euros annuelle apportée par la municipalité. « On est fiers de leurs actions sur le plan matériel, mais aussi de leur investissement pour la collecte du patrimoine immatériel », observe le maire de la commune, Jean-Luc Armand.
Prochaine étape pour embellir le site qui date du XIe siècle : lui remettre un toit. « L’objectif est de réaliser un chantier école avec une charpente traditionnelle pour couvrir la surface de 8 mètres sur 22 », détaille encore l’équipe, qui, à la longue, souhaiterait que les lieux se transforment en un local dédié à la culture et au patrimoine. « Mais nous ne sommes pas pressés, ce serait sur du long terme », exposent les travailleurs de l’ombre, à qui l’on doit déjà la sauvegarde du lavoir local et de sa fontaine.
(1) manger en abondance, ripailler.
Renseignements : [email protected]
SudOuest