Elles sont de retour : la folle histoire des guinguettes !


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De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, la fréquentation des guinguettes est très à la mode. Très ancré dans les pratiques et dans l’imaginaire, ce genre de lieu devient “un symbole culturel tel qu’il s’impose comme un motif artistique” à part entière, comme le souligne un article retraçant les origines de la guinguette, publié par le ministère de la Culture. C’est le cas en littérature, avec « Une partie de campagne », de Guy de Maupassant, publié en 1881, mais aussi en peinture. Renoir, dans ses célèbres tableaux » Au jardin - Sous la tonnelle au moulin de la Galette (1876) et le « Déjeuner de canotiers », ou encore Van Gogh, dans son tableau « La Guinguette », aiment à les représenter.
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Auguste Renoir, « Au jardin - Sous la tonnelle au moulin de la Galette » (1876). -
“La Guinguette”, Vincent van Gogh, vers 1886.
Le cinéma de l’entre-deux-guerres s’en est aussi emparé, à l’instar de Julien Duvivier dans « La Belle équipe » (1936). Mais les guinguettes sont nées dans la banlieue de Paris, bien avant le Second empire. Leur présence est attestée dès le XVIIe siècle.
D’où vient le mot « Guinguettes » ?« Ah ! Le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles, du côté de Nogent….»
L’origine du mot qui désigne ces cabarets où l’on mangeait et dansait, est controversée. Il viendrait du nom de ce vin blanc aigrelet et bon marché francilien, le Clos Guinguet, que l’on y servait. D’où la chanson bien connue, véritable hymne populaire des guinguettes, « Ah ! Le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles, du côté de Nogent….» (1) Une autre étymologie les relie au bal-guinguette d’un certain Pierre Guinguet, fondateur vers 1640 d’un cabaret à Ménilmontant. Mais ce ne sont pas les seules pistes. Le mot « guinguet », qui signifie étroit, donnerait le sens de petite maison, ou le verbe « guiguer », qui signifie sauter, renverrait à la gigue et la danse, le vin passablement vert des guinguettes faisant « guinguer » ceux qui le buvaient.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que les premières guinguettes sont nées autour de Paris et qu’elles commencent à se distinguer dès la fin XVIIIe siècle des autres établissements en proposant des bals populaires principalement aux beaux jours. Relativement bon marché, les bals musettes étaient fréquentés surtout l’été, le lundi par des ouvriers, le jeudi par les étudiants et le dimanche, par les familles.
La mode des canotiers fait fleurir l’installation de guinguettes au bord de la Seine et de la Marne
Jusqu’à l’agrandissement de Paris, au milieu du XIXe siècle, en 1860, les guinguettes s’installent dans des villes de banlieue devenues aujourd’hui des quartiers de la capitale, comme Belleville et Ménilmontant, dans l’actuel 20e arrondissement, pour fuir la taxe de l’octroi des vins.

Musée d’Orsay
La mode des canotiers fait alors fleurir leur installation au bord de la Seine et de la Marne et aussi sur les bords du canal de l’Ourcq. Dans la banlieue ouest de Paris, à Suresnes, commune qui jouit d’une tradition viticole ancienne, les vignerons produisant sur les coteaux du mont Valérien le « petit bleu », un vin blanc peu onéreux, elles sont aussi nombreuses. On les trouve souvent rue du Pont et le long des quais de Seine, les pêcheurs fournissant les restaurants. Elles ont pour nom « La Belle Gabrielle », « Le Moulin Rose » ou encore « Le Chalet du Cycle ».

Ministère de la Culture
Le développement du chemin de fer et la création de gares, comme celle de Bastille, ont contribué à l’essor des guinguettes loin de Paris, vers la banlieue est de la capitale. Sur les bords de Seine jusqu’à Nogent-sur-Seine, il y en avait par centaines. Le développement du chemin de fer et la création de la gare de la Bastille avec de nombreux trains vers la banlieue est de Paris et, sous l’impulsion de Joseph Gueusquin, à Robinson dans le sud de Paris, desservi par la ligne de Sceaux.
De nombreuses scènes du film de Bertrand Tavernier, « Un dimanche à la campagne » (1984), situé en 1912, font référence à l’univers de ce début de XXe siècle, où « la fréquentation des guinguettes relève d’un véritable art de vivre ».
« On y boit un peu plus que de raison, on y tourbillonne à s’en étourdir, on y danse la valse et la polka, on joue avec les froufrous de ses jupons, on bavarde, on chahute, on badine… Bref, on profite de cet espace hors du temps et de la ville pour s’échapper du train-train quotidien. » Et on s’y baigne aussi, en retrouvant son âme d’enfant dans une ambiance champêtre et populaire.
Au début du XXe siècle, avec l’avènement des loisirs et du dimanche chômé, en 1906, le bal de la guinguette devient un rendez-vous attendu. Les cabarets populaires en plein air se multiplient à Montmartre et sur les bords de la Seine et de la Marne. Les différences sociales sont gommées : les bourgeois comme les ouvriers fréquentent ces établissements très en vogue.
Dans les années 1960, l’interdiction de se baigner dans les rivières pour des raisons d’hygiène et de sécurité, sonnera l’heure du début de leur déclin. Ce n’est plus l’heure des guinguettes traditionnelles mais celle du « formica, du ciné, des HLM et du poulet aux hormones », chantés par Jean Ferrat, dans « La Montagne ». Elles sont remplacées peu à peu par des restaurants, des dancings (plus « modernes ») quand elles ne mettent pas carrément la clé sous la porte.
Dans le Sud-Ouest : au bord de l’eau (ou pas)La Guinguette Barnabé en Dordogne, patrimoine du XXe siècle
Dans le Sud-Ouest aussi, les guinguettes, c’est une histoire ancienne. Certaines ont même reçu le label patrimoine du XXe siècle, à l’instar de La guinguette Barnabé, édifiée en Dordogne sur les bords de l’Isle à Boulazac, en 1935, par l’architecte Léopold Foussard. Ce dernier s’inspire alors des guinguettes fleurissant sur les bords de la Seine pour monter son affaire, avec son étonnant minigolf, sa salle aux formes arrondies et ses larges baies vitrées.

DR
Depuis, la famille Foussard se relaie de génération en génération pour faire vivre la guinguette sans jamais en dénaturer l’esprit : dès que revient le temps du muguet, les promeneurs gagnent sa terrasse bordant l’Isle pour goûter au clapotis de l’eau en sirotant une boisson fraîche dans le décor au charme désuet, très Art déco.
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La Guinguette Barnabé, détenue par Eric Foussard, le 8 juillet 2013. -
La Guinguette Barnabé, détenue par Eric Foussard, le 8 juillet 2013.
Et voilà qu’aujourd’hui, dans la région comme ailleurs en France, de ringardes, les guinguettes sont redevenues « tendance ». Peut-être parce qu’elles répondent aussi à une envie de faire la fête après la période Covid. À la différence des années 1920, on n’y vient pas vraiment pour danser. Plutôt pour se retrouver autour d’un verre et d’une assiette, dans une ambiance musicale ou pas, en bande d’amis ou en famille.
En Lot-et-Garonne, les guinguettes sont désormais ancrées dans le paysage estival du département, comme à la Maison Forte de Monbalen. En Gironde, en 2023, pas moins de dix de ces établissements populaires avaient rouvert leurs portes dès le mois de mai, rien que dans le sud du département et dans l’Entre-deux-Mers pour une nouvelle saison estivale, au bord de l’eau, dans les vignes ou nichées dans les bois.
Dans le Médoc, sur l’estuaire de la Gironde à Macau, la guinguette Chez Quinquin (2) est une adresse connue de longue date. À la saison, on y déguste l’anguille à la persillade.

Archives Sud Ouest / Laurent Theillet
Bordeaux et son agglomération, ne manquent pas non plus d’adresses en la matière, notamment autour de son fleuve et de son lac. Située sur les quais de Queyries, au cœur du parc aux Angéliques, la guinguette Chez Alriq (3) qu’on ne présente plus. Créée en 1990 par Alriq et Rose, elle est la plus populaire du genre. On y vient seul, en amoureux, entre amis ou en famille pour dîner mais aussi assister à aux concerts d’une programmation musicale éclectique et joyeuse. Parmi les incontournables, il y a aussi « La Belle Saison » (4), sa voisine rive droite, qui dispose d’une vaste terrasse dans un jardin au bord des berges naturelles de la Garonne.

À Bègles, la guinguette qui offre la plus solide programmation d’artistes, c’est « La Béglaise » (5). Installée dans le vieux bourg de Villenave-d’Ornon, la Guinguette du Coq (6) est ouverte toute l’année. Dans un décor à lampions et nappes à carreaux, on peut soit s’attabler au restaurant pour déguster une cuisine de marché, jouer à la pétanque en grignotant des pizzetas ou partager de la viande grillée au barbecue. Et puis il y a aussi les nombreuses guinguettes éphémères…
Combien y a-t-il de guinguettes en France ? Il n’y a pas de dénomination « guinguette » dans les codes NAF [la nomenclature des activités économiques productives élaborée par l’Insee]. Selon la classification de l’Insee, elles sont répertoriées dans la catégorie « restaurant », au même titre que McDonald’s. Elles sont donc difficilement quantifiables, mais selon les calculs du cabinet Gira, qui suit de près le marché de la restauration, il y en aurait environ 1 500, dont des établissements saisonniers qui ouvrent au printemps et ferment fin septembre, début octobre.SudOuest