En Suisse italienne, la Casa Raslei, un bijou architectural «en osmose avec le paysage»

Souhaitant se déconnecter de leur quotidien, le couple de Suisses Alejandra Lauper et Dino Piccolo ont transformé un corps de ferme dans le Tessin en un espace expérientiel, ouvert sur la nature. Un lieu rustique et brutaliste à la fois.
La vallée d’Onsernone, dans le canton du Tessin, en Suisse italienne, demeure l’une des plus sauvages d’Europe. Étroite et encaissée, elle offre à la contemplation des paysages de montagnes rocailleuses, de forêts denses, de villages bâtis en pierre. Une atmosphère presque méditative s’en dégage. En hiver, ou après la pluie, des brumes s’accrochent aux pentes rocheuses, créant une ambiance dramatique.
Auteur parmi les plus importants en langue allemande de l’après-guerre, le Suisse Max Frisch (1911-1991), écrivain des identités incertaines, avait élu domicile dans cette vallée, lui dédiant même une nouvelle, L’homme apparaît au quaternaire. L’histoire parle d’un retraité vivant des jours de pluies torrentielles dans un village isolé du Ticino, le val s’avérant une métaphore de la vieillesse, de la mémoire qui s’efface et de l’isolement existentiel. L’endroit représentait pour l’auteur un havre de calme, loin de l’agitation des grandes villes, propice à la réflexion, à la création.
Passer la publicité« Depuis que j’ai lu Max Frisch, à l’adolescence, je suis tombée amoureuse de la vallée d’Onsernone, avoue d’emblée Alejandra Lauper qui, avec son mari Dino Piccolo (qui est aussi son partenaire dans Varese Corridor, une agence de branding, communication et design, basée à Zurich), a rénové et totalement transformé une maison dans la région. Nous sommes d’abord venus en vacances ici. Sous le charme, nous avons demandé à diverses personnes si elles connaissaient une propriété à vendre ; c’est ainsi que nous avons trouvé la Casa Raslei à Mosogno. »
Située au milieu de prairies verdoyantes l’été et d’étendues neigeuses en hiver, la Casa Raslei est une ancienne ferme d’alpages. Une famille d’agriculteurs s’y rendait à l’origine, depuis le XVIIe siècle, faire pâturer ses moutons et ses chèvres les beaux jours venus, mais depuis sept ans, laissée à l’abandon, la construction tombait en ruine. Elle n’en demeurait pas moins remplie de tous les biens, meubles et outils, accumulés par plusieurs générations de paysans.
« La maison était envahie par la végétation, délaissée et jonchée d’objets épars ; il nous a fallu beaucoup d’imagination et pas mal de courage pour lui donner une nouvelle vie. Pas moins de dix vols en hélicoptère furent nécessaires afin d’évacuer neuf tonnes de déchets. Les bons conseils de notre ami architecte, Daniel Buchner, nous ont permis de mener à bien ce projet. Ce fut un long processus, qui dura cinq ans. Nous nous sommes rendus sur place à plusieurs reprises, avons étudié l’histoire de la vallée, nous sommes exposés aux intempéries et avons vécu avec la nature. Ces aventures nous permirent de comprendre que la maison devait conserver son caractère original et qu’ici la vie se devait d’être simple, élémentaire, en osmose avec le paysage. »
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Le cabinet d’architecture basé à Bâle, Buchner Bründler, est connu pour avoir réalisé le Pavillon suisse à l’Exposition universelle de Shangaï en 2010. Leurs constructions se placent en prolongement de structures déjà existantes. Leur pratique se distingue par un dialogue permanent entre le lieu qui les accueille et leurs bâtiments. Ses deux fondateurs, Daniel Buchner et Andreas Bründler, se plaisent à confronter l’intimité propre aux intérieurs aux environnements extérieurs, souvent à travers des ouvertures sur les façades, jouant ainsi sur la notion de dedans et de dehors.
On est loin du stress de la vie quotidienne, ici les forces naturelles sont saisissantes
Alejandra Lauper
À Mosogno, la maison n’est pas fermée, l’air se faufile sous la toiture en tôle ondulée. « Les combles ouverts correspondent à la typologie des maisons rurales du Tessin. C’est magnifique de s’asseoir dans le hall en été, quand la chaleur est torride dans la cour intérieure, et de profiter de la fraîcheur du bâtiment en pierre. C’est aussi une expérience forte lorsque la pluie s’abat sur la tôle ondulée – il pleut toujours violemment dans la vallée. On est loin du stress de la vie quotidienne, ici les forces naturelles sont saisissantes. »
Passer la publicitéLa réfection du bâtiment demeura volontairement sommaire : un nouveau sol, des interventions en béton et une toiture en métal. Les murs principaux furent conservés, les anciens espaces demeurant toujours visibles, même si l’étage du bâtiment principal a été supprimé pour définir un espace de vie spectaculaire de par sa hauteur. « Les corps de bâtiment historiques en pierre étaient essentiels, il s’agit de traces architecturales fortes du passé. »
C’est un endroit simple, avec peu de confort, mais une grande qualité de vie, au cœur de la végétation, dans une vallée spectaculaire
Alejandra Lauper et mari Dino Piccolo
La partie ouverte au vent est adaptée à la vie en plein air aux beaux jours, d’autres espaces fermés, dotés de poêles à bois destinée aux frimas hivernaux. « Nous n’avons pas recherché un mode de vie urbain. Nous bénéficions d’une petite cuisine avec des plaques de cuisson mobiles pour l’extérieur et l’intérieur. Nous aimons beaucoup cuisiner et profiter des amis qui viennent nous rendre visite pour un repas. Nous cultivons un grand jardin de 3500 m2 avec des herbes, des vignes et plusieurs arbres fruitiers. Nous venons généralement de mars à octobre. Nous avons même connu un mois de décembre, avec 20 °C, très agréable ! Ce n’est définitivement pas une maison de vacances classique. C’est un endroit simple, avec peu de confort, mais une grande qualité de vie, au cœur de la végétation, dans une vallée spectaculaire. Il y a une douche dans la cour intérieure, mais chaude. Que demander de plus ? » Quelques classiques du design, comme une chaise longue Lido de Battista & Guido Giudici, une lampe signée Charlotte Perriand et un tabouret d’Alvar Aalto, des objets de préférence choisis bleu électrique, soulignent la radicalité du projet. « Les couleurs de base sont simples et vives, comme la nature, comme le lieu. »
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