Trente ans de lutte pour un changement radical sur la drogue

Le trentième anniversaire du Forum Droghe
De 1995 à aujourd’hui, le Forum a été un lieu et un stimulant pour la production d’« alternatives critiques » : critique des paradigmes, des normes, des politiques d’intervention, des représentations des phénomènes. Toujours avec une attention particulière au lien entre la pensée critique et la pratique politique

Nous serons à Rome les 7 et 8 novembre. Nous, au Forum Droghe , avec des dizaines d'associations et des centaines de professionnels, chercheurs, universitaires, défenseurs des droits humains, personnes qui consomment des drogues, militants pour la réforme des politiques en matière de drogues, travailleurs de la réduction des risques, promoteurs de la santé des consommateurs de drogues et de la santé publique, défenseurs des droits humains, passionnés de pensée critique et de recherche. Nous serons à Rome en dehors et contre la Conférence nationale sur les drogues convoquée par le gouvernement, dont nous dénonçons l'approche basée sur la criminalisation, la pathologisation et la « tolérance zéro ».
Pour le Forum Droghe, qui en est maintenant à sa trentième année d’existence, force motrice et protagoniste de ce mouvement pluriel, un défi renouvelé est d’accepter de changer le discours public sur les drogues dans notre pays. C'est ainsi que Forum Droghe célèbre son trentième anniversaire : en renouvelant sa longue et tenace bataille pour un changement radical des politiques en matière de drogues, qui depuis 1990 n'ont cessé de produire des dommages et des effets pervers, ainsi que de mesurer leur propre inefficacité. Ces trente ans sont célébrés sans Grazia Zuffa , qui nous a quittés subitement en février dernier , mais qui reste un point de référence irremplaçable pour Forum. C'est elle, avec Franco Corleone et un petit groupe de casse-cou, qui a fondé l'association en 1995 : depuis 1990, année où avait été lancée la loi 309 , avec un net revirement par rapport à la « loi douce » de 1975, on voyait déjà apparaître les premiers dommages causés par une loi qui faisait la guerre non pas aux drogues mais à ceux qui les consommaient, avec d'énormes sanctions pénales, carcérales et sociales et des souffrances individuelles et collectives. Une preuve qui avait conduit à la promotion d'un référendum, grâce à l'impulsion des radicaux puis au soutien de la société civile, qui en 1993 avait amené les Italiens aux urnes autour de la question qui voulait aplanir les pics les plus répressifs de la loi. Le résultat a été surprenant, compte tenu de la marginalité relative de la question et de l’omniprésence d’un « bon sens » moraliste et punitif : les Italiens ont voté pour l’abrogation de ces règles.
Grazia et les autres ont compris que le moment était venu de faire des drogues un sujet de discours public, en dehors des limites du pénal et du pathologique, et que les politiques en matière de drogues devaient devenir l’objet de connaissances et de réflexion critique, rendu accessible au débat public et fonctionnel à un processus de réforme. Au sein du mouvement national et international pour la réforme des politiques des drogues, le Forum Droghe a voulu dès le début être un lieu et un stimulant pour la production d '« alternatives critiques » à différents niveaux : critique des paradigmes, critique des normes, critique des politiques d'intervention, critique des représentations des phénomènes. Mais toujours avec attention – et pour cela nous sommes également reconnaissants à Grazia – à la jonction entre la pensée critique et la pratique politique, hier comme aujourd’hui. Sur ce point, il suffit de lire la théorie infinie des initiatives de l'association de 1995 à aujourd'hui. Qui s’étalent entre séminaires, conférences et formations d’une part, et mobilisations de rue d’autre part ; entre la rédaction de propositions législatives et le soutien aux initiatives « ascendantes », y compris la désobéissance ; de la production et de la publication de recherches et d'essais à la diffusion de contenus pouvant être utilisés dans un débat public ouvert, comme celui promu par le site fuoriluogo.it et par les mensuels d'abord, puis par les chroniques hebdomadaires d' Il Manifesto ; de l’échange avec le gouvernement et les institutions à leur contestation ouverte lorsque cela est nécessaire, comme cela s’est produit, en alternance, avec les Conférences gouvernementales sur les drogues ; de la production de théorie sur les paradigmes et les approches, à sa « traduction » en termes formatifs et opérationnels, dans une comparaison étroite et directe avec les opérateurs, notamment dans le domaine de la réduction des risques .
L’apport aux résultats les plus théoriques et politiques, qui traverse toute la proposition politique et scientifique du Forum, est précisément le regard critique sur le phénomène, les clés d’interprétation. La démonstration de la fragilité théorique des paradigmes moraux et pathologiques qui sous-tendent les politiques dominantes s’est faite d’abord par la recherche. L'enquête qualitative sur la « consommation contrôlée », avec laquelle Forum, avec Grazia Zuffa en premier, a ouvert en Italie une perspective qui s'était avérée fondamentale au niveau international depuis les années 1980, a permis de remettre en question certaines hypothèses qui jusqu'à hier étaient tenues pour acquises (bien que non prouvées) : l'image selon laquelle les drogues (illégales) sont « incontrôlables », et donc « méritent » soit l'interdiction, soit un traitement, a été renversée ; à partir de l'observation des stratégies, des compétences et des parcours des consommateurs capables de maintenir un contrôle et une régulation de l'usage « compatible » avec la vie personnelle et sociale et avec la santé, une perspective sociale et culturelle sur le phénomène a été introduite, préservant sa complexité. La théorie de l’escalade, selon laquelle l’usage évolue dans tous les cas vers l’abus puis vers la dépendance, ainsi que celle de la centralité des substances, ont été radicalement remises en question au profit d’une vision selon laquelle l’ensemble (la personne, ses attentes, ses objectifs et ses cultures d’usage) et surtout le cadre (le contexte social, normatif, culturel) influencent et co-déterminent les styles et les résultats de l’usage.
Un travail scientifique mais aussi social, toujours mené en alliance et en dialogue avec les personnes qui consomment des drogues, avec leurs compétences et leurs expériences, et avec les opérateurs. Ce fil rouge a été déroulé sous différents profils, en plus des recherches menées par Forum depuis 15 ans, avec la collaboration de chercheurs tels que Peter Cohen, Jean Paul Grund, Tom Decorte , il y a eu une activité éditoriale visant à déprovincialiser le contexte italien (nous nous souvenons avec les nombreux Quaderni di Fuoriluogo, la version italienne de Drug, set and setting , l'œuvre de Norman Zinberg qui a révolutionné les points de vue et les pratiques), et une perspective stratégique a été développée confiée à la Réduction des Risques comme politique globale, ainsi qu'un travail de formation avec les opérateurs afin que les pratiques puissent être dotées d'un solide bagage théorique et être capables d'innover. Cet héritage, sur lequel nous travaillons encore aujourd’hui, a un impact politique formidable et très actuel. La bataille pour vaincre la guerre contre la drogue, pour dépénaliser les comportements liés à l’usage de substances et plus encore la perspective d’une régulation légale des marchés, implique une alternative sérieuse, durable, praticable, minimisant les dommages et les risques et respectueuse des droits.
L'espace « libéré » par la norme pénale est l'espace d'action d'un « gouvernement social » du phénomène (culturel, d'apprentissage social et, sous certains aspects, régulé administrativement comme cela se produit pour les substances légales) ; sa praticabilité, sa durabilité et son efficacité partent précisément du paradigme de l’apprentissage social, de l’autorégulation, de l’incohérence vérifiée du « destin du toxicomane », de contextes qui minimisent – plutôt que de souligner – les risques et les dommages. Ici, la recherche et la pensée critique alimentent un cercle vertueux de réécriture du paradigme et de proposition politique et normative. Le travail destiné aux plus jeunes s'inscrit également dans cette veine : déjà au début des années 2000, grâce à la rencontre avec deux pédagogues américains, Skager et Rosembaum, Forum a apporté en Italie la critique la plus radicale de ce « Just say NO » des Reagan avec lequel des millions d'adolescents étaient réprimés et mis en danger. Une alternative faite d'autonomisation, d'investissement dans la limitation des risques et de respect des plus jeunes et de leurs compétences que Forum propose encore aujourd'hui comme modèle de formation, contre la renaissance actuelle du « zéro consommation, zéro tolérance ».
Un deuxième niveau qui a toujours caractérisé le travail du Forum est celui de la réforme législative, de la lutte pour la dépénalisation et pour la réduction du rôle de l’emprisonnement dans les politiques de drogues. Au fil des années, des textes de réforme de la loi 309 ont été élaborés, grâce au travail d'alliance et de collaboration avec de nombreux juristes et parlementaires, en plus de propositions individuelles (comme celles relatives à l'art. 73, petit trafic de drogue) pour amener les sanctions au moins à respecter le principe de proportionnalité et à réduire la prison au profit de formes alternatives, jusqu'à l'action pour la promotion du référendum sur la légalisation du cannabis . La publication du « Livre Blanc », avec l'aide d'un réseau d'associations, a accompagné cette action, démontrant année après année avec des preuves inexorables l'impact dramatique du droit pénal sur les personnes, sur la société, sur les coûts sociaux et économiques. Dans le contexte de toutes les campagnes, actions de plaidoyer, travaux scientifiques et politiques, le thème des droits humains et sociaux des personnes qui consomment des drogues, leur « Rien sur nous sans nous » a toujours été un point fixe, et pas seulement théoriquement : Forum a cherché et trouvé la manière de soutenir et de respecter leur parole, depuis 1996, lorsqu'il a facilité la première assemblée nationale des personnes qui consomment des drogues (appelée alors « In prima persona ») et la rédaction de la première Charte de leurs droits.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, la dimension internationale : les réseaux européens et internationaux dont fait partie le Forum constituent une formidable opportunité d’avoir son mot à dire sur les politiques mondiales qui, grâce à la société civile, se réorientent – certes lentement, certes – dans une direction réformiste. Une opportunité, aussi, de comparaison et d'apprentissage, que Forum met à disposition des réalités et du débat italiens, à travers ses outils de communication et de documentation, fuorilugo.it, le podcast, les newsletters, les événements publics, les formations. Tout cela trouvera, une fois de plus, sa place et son sens dans le présent : l’assemblée du trentième anniversaire, à Florence, aujourd’hui, 17 mai, n’est pas une fête. Il s’agit de mettre tout cet héritage en jeu pour de nouveaux défis. La première, Rome, novembre 2025. Et Grazia Zuffa , une fois de plus, sera pour nous une boussole dans la complexité.
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*Forum sur les drogues, Comité scientifique
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