Carl Schmitt à Washington

De l'argent et des terres rares pour se protéger. Comme le dit ce journal, la proposition américaine à l’Ukraine a des allures d’extorsion mafieuse et est digne d’Al Capone. Mais si on le met en mouvement, ce vent prend l’aspect d’ouragan d’une vieille théorie qui souffle de plus en plus fort dans les discours sur le nouvel ordre international. « Protego te obligo » (je protège et j'oblige) est un principe que Thomas Hobbes a mis en circulation au XVIIe siècle dans le Léviathan .
Carl Schmitt, qui l’a recyclé au XXe siècle, disait qu’il était comme le « cogito ergo sum » de l’État moderne avant le processus de démantèlement auquel le libéralisme l’a soumis. Mais il le décrivait aussi comme l’axiome d’un possible nouvel ordre international, qu’il considérait comme souhaitable, fondé sur la division du monde en grands espaces (« grossräume »). La doctrine schmittienne du « grossraum » prône un monde où quelques puissances se partagent le gâteau.
Ce monde est régi par trois règles très simples. Chaque grande puissance dispose d’une zone de protection et d’influence. Aucune grande puissance n’intervient dans le grand espace d’une autre. Et l’ordre au sein de chaque espace est rigoureusement hiérarchique. Les similitudes entre Trump et Al Capone découlent de ce dernier principe et de la considération par la nouvelle administration américaine de l’Europe comme une région d’un grand espace occidental dirigé par les États-Unis.
Le visage d'Al Capone, le légendaire mafieux américain
ClaironSchmitt a vu dans la doctrine Monroe (« l'Amérique aux Américains »), que Theodor Roosevelt a fini par transformer en instrument de légitimation d'une nouvelle forme d'impérialisme, le prototype des grands espaces sur lesquels il a théorisé en vue de justifier la domination du Troisième Reich allemand sur le continent européen. Depuis plusieurs années, cette théorie est considérée en Chine et en Russie comme une alternative à l’ordre international libéral prôné par les États-Unis depuis 1945, que Trump, qui a toujours parlé de la doctrine Monroe comme d’un pilier de sa politique étrangère, considère désormais également comme obsolète. L’incorporation de l’Europe dans un « grossraum » américain par l’application d’une doctrine Monroe élargie fait-elle partie de la doctrine de Trump ? Les preuves qui vont dans ce sens s’accumulent.
Al Capone et Trump se ressemblent, ce dernier voit l’Europe comme une région dirigée par les États-Unis.Il devient de plus en plus clair que le nouveau 47e président ne veut pas se désengager de l’Europe, mais plutôt redéfinir la relation avec l’Europe sur la base de la théorie du « grossraum », qui donne aux grandes puissances le droit d’imposer les règles du jeu et les compensations politiques et économiques aux pays qui dépendent de leur protection.
Lire aussiLes invectives de Trump et de son équipe contre les Européens répondent aux arguments de Schmitt dans Le Concept du politique sur les peuples qui placent leur défense contre les ennemis extérieurs entre les mains d'autrui. Selon le penseur allemand, les nations qui agissent de cette manière perdent de facto leur souveraineté et doivent assumer la corrélation entre protection et obéissance. C’est la logique de la nouvelle politique européenne des États-Unis.
lavanguardia