Önder Özden a écrit – Politique alternative : surmonter les conflits sans éviter la confrontation

Il n'est plus exagéré d'affirmer que l'ordre politique actuel ne parvient pas à répondre aux crises sociales, économiques et écologiques quotidiennes et croissantes. Pire encore, certaines réponses à ces crises – notamment les politiques autoritaires ou d'extrême droite – exacerbent les problèmes au lieu de les résoudre et bloquent les solutions potentielles.
L'un des exemples les plus visibles en Turquie est la transformation du système judiciaire par le gouvernement en un outil d'oppression. Les réformes juridiques et les décisions judiciaires sont utilisées pour réprimer l'opposition politique , faire taire les journalistes et intimider la société. Dans un tel contexte, la politique de confrontation directe peut parfois s'avérer inefficace et même approfondir la polarisation.
Il ne suffit donc pas de penser la politique uniquement en termes de conflit et de lutte directe. Descendre dans la rue et organiser des rassemblements de masse sont certes importants, mais ce ne sont pas les seuls outils. Il ne faut pas oublier que des formes d'action indirectes, symboliques ou manœuvrières peuvent également s'avérer efficaces.
Dans ce contexte, le concept d' interpassivité peut offrir une autre perspective. L'action politique n'implique pas toujours une participation directe. Il arrive qu'une autre personne accomplisse une action symbolique en notre nom, ou qu'un objet, un symbole, traduise notre position politique. Par exemple, observer le siège vide du journaliste Fatih Altaylı – rendant ainsi son absence visible en silence – constitue une forme de résistance. De même, le refus de larges pans de la société de croire aux histoires de corruption gouvernementale peut également constituer une forme de rejet et de défi silencieux.
La politique de manœuvre, parfois adoptée par l'opposition, ouvre de nouvelles perspectives à cet égard. Par exemple, la détermination de la candidature d'Ekrem İmamoğlu à la présidence par référendum interne et la création de fonds de soutien n'ont pas été une simple procédure de nomination de candidats, mais aussi une initiative qui a élargi la participation sociale et établi la légitimité de la politique par la base. Ce processus a impliqué non seulement les membres du parti, mais aussi des personnes d'horizons divers. Ainsi, une affiliation politique distincte a été créée, transcendant l'affiliation politique à un parti spécifique, et il est devenu possible de trouver un terrain d'entente.
Ce point souligne la nécessité pour l'opposition de diversifier sa stratégie politique au-delà des rassemblements et d'Ankara, sans pour autant la qualifier de « fétichisme de rue ». L'organisation de référendums non officiels, notamment pour certaines revendications sociales, pourrait constituer un outil politique alternatif important.
Ces référendums ne nécessitent ni l'approbation de l'État ni une validité officielle. L'essentiel est qu'ils encouragent la participation directe du public et sensibilisent à la politique. Par exemple, poser la question « Souhaitez-vous des élections anticipées ? » au public, puis organiser des débats publics sur la base des résultats, peut à la fois exercer une pression sur le gouvernement et accroître sa légitimité en réorganisant l'opposition au niveau sociétal. De telles initiatives, à l'instar du processus qui a scellé la candidature d'İmamoğlu, peuvent insuffler un nouveau souffle aux mouvements d'opposition au-delà d'Ankara, entraver la liberté d'action du gouvernement et contribuer à remettre davantage en question sa légitimité.
La stratégie du « tout brûler » à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui risque d'engendrer une destruction non seulement politique, mais aussi sociale. Ce type d'antipolitique est, en un sens, une manifestation d'impatience envers la politique, de mécontentement envers les institutions et d'intolérance aux règles. Simultanément, cette destructivité peut conduire à la destruction du bon sens, de la confiance sociale et des institutions mêmes de la coexistence. À mesure que les liens se disloquent, les individus risquent de se déconnecter non seulement les uns des autres, mais aussi de la politique. Une telle situation risque d'engendrer un cycle de polarisation plus profond et d'intensifier le climat politique autoritaire.
La question de savoir ce que nous pouvons faire n'est plus une question à laquelle on peut répondre d'une seule voix. Il est peut-être plus pertinent de se demander quelles pistes nous pouvons envisager ensemble. Nous avons besoin d'une compréhension pluridimensionnelle de la politique, allant de la rue aux urnes, des actions symboliques aux référendums informels, de la production culturelle aux réseaux locaux de solidarité. Cette compréhension peut ouvrir de nouveaux espaces politiques, non seulement dans les limites du système actuel, mais aussi au-delà.
Car combattre une politique apocalyptique est possible non pas en imitant ses méthodes, mais en résistant par des moyens qu'elle ne peut même pas imaginer. Cela est devenu encore plus crucial, surtout après le 19 mars. L'attente d'une opposition qui doit couper tous les ponts pourrait perpétuer l'impasse et aggraver encore la violence du gouvernement actuel. Avant d'en arriver là – même si une telle confrontation est inévitable –, renforcer, diversifier et poursuivre les formes existantes de lutte politique sans les sous-estimer pourrait être une option au moins aussi efficace et stratégique que le conflit.
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