Le musée de Saragosse a refusé de payer 6 000 pesetas pour les peintures de Sijena.

Il s'est présenté à moi et m'a fait une proposition. Les tableaux pourraient être donnés, par exemple, au Musée de Saragosse, mais le coût des travaux restant à effectuer pour achever la restauration s'élevait à environ 6 000 pesetas (prix de 1943), somme qu'il faudrait payer, sans compter l'accord des religieuses de Sijena, qui devraient probablement être indemnisées. J'ai transmis la proposition à mon ami José Galiay, alors directeur du Musée de Saragosse, mais il a été effrayé par l'engagement financier que cela impliquait et a décliné l'offre. Ce paragraphe, extrait des mémoires de l'historien Luis Monreal y Tejada, raconte comment l'architecte Josep Maria Gudiol, responsable de l'enlèvement des tableaux du monastère de Sijena après son incendie par des groupes anarchistes en 1936, a tenté de les faire restituer à l'Aragon à la fin de la guerre.
Personne n’avait remarqué ce détail jusqu’à ce qu’un lecteur alerte ce journal.
Ni le Musée national d'art de Catalogne (MNAC) ni la Generalitat n'ont utilisé cet argument dans le conflit que se livrent depuis 2014 les gouvernements d'Aragon et de Catalogne au sujet de la possession des tableaux, entrés au MNAC en 1940 et installés, dans une reproduction de la salle originale, en 1961.

Les ruines du monastère, après le pillage anarchiste de 1936
ARCHIVEUne décision controversée de la Cour suprême du 28 mai oblige le MNAC à restituer les peintures – un chef-d'œuvre de l'an 1200, déclaré bien d'intérêt culturel – et le rend responsable de leur transport et de leur intégrité jusqu'à leur arrivée à destination.
L'institution catalane a exprimé une forte opposition, invoquant le risque irréparable que pourrait représenter le voyage de retour, car il s'agit d'un lieu qui ne répond pas aux normes d'un musée comme le MNAC.
Mais revenons aux mémoires de Monreal. À la fin de la guerre civile, il fut nommé commissaire régional du Patrimoine artistique national pour la Catalogne, Valence et les îles Baléares, et chargé de restaurer les œuvres d'art saisies par le gouvernement républicain ou pillées dans le chaos de la guerre. Gudiol le contacta donc pour lui proposer leur retour en Aragon. Le monastère fut détruit.
La mairie de Saragosse a ignoré la demande d'aide du musée pour l'acquisition des tableaux.Dans ses mémoires, publiés en 1999 par la petite maison d'édition huescaine La Val de Onsera, il explique que Gudiol « retira la couche de sinopias selon la méthode habituelle, en collant quelques toiles au mur, puis en les décollant. Celles-ci furent transportées à l'atelier de Barcelone, et le travail fut interrompu sans avoir terminé la phase finale : recoller les toiles, cette fois par l'arrière, et retirer celles de l'avant qui avaient caché les peintures pendant tout ce transfert. Mais la guerre prit fin et Gudiol partit pour l'Amérique du Nord, d'où il revint deux ou trois ans plus tard. »
C'est alors que Gudiol lui fit cette proposition : le coût de la restauration complète était de 6 000 pesetas.
Le récit de Monreal est inexact quant à la date, car ce journal a pu vérifier que le conseil d'administration du Musée de Saragosse a effectivement discuté d'une proposition « du commissaire de restauration artistique » concernant « les peintures murales de la salle capitulaire du monastère de Sijena », mais c'était en 1941. La séance a eu lieu le 26 janvier.
Le document, transcrit dans les annales consultées par La Vanguardia en 2003, précise que les peintures ont été « enlevées par les Rouges après l’incendie ».
« Le prix, non pas le prix de vente mais le coût des travaux de mise en place des tableaux sur des châssis spéciaux, de leur fixation et des opérations ultérieures, s'élève à environ trente mille pesetas », estime le conseil d'administration du musée, qui considère l'acquisition « d'un grand intérêt pour le musée ».
L'installation complète des tableaux a coûté 30 000 pesetas, mais la campagne de l'institution n'a récolté que 20 000 pesetas : la banque d'Aragon n'a donné « aucune réponse ».Aux dépens de Monreal, le projet de Galiay comportait le montage des peintures sur châssis reproduisant la structure architecturale. La proposition fut acceptée et la Direction fut chargée d'étudier et de mettre en œuvre un moyen de réunir les fonds nécessaires. M. Calamita, recteur de l'Université, annonça qu'il contribuerait à hauteur de 1 000 pesetas sur ses fonds propres.
6 000 pesetas, était-ce beaucoup en 1941 ? Le budget du musée cette année-là était exactement de 20 650 pesetas.
Six mois plus tard, la session ordinaire du 6 juillet 1941 se révéla dévastatrice. Le musée ne parvint à réunir que 20 000 pesetas.
Le MNAC, voyant que nous n'avons pas ce projet ou que nous ne croyons pas au projet présenté par le Gouvernement d'Aragon, se cache derrière cela. Jorge Español, avocat de Sijena
« Afin de collecter des fonds », explique le musée, « il a été convenu de faire circuler des lettres aux entreprises et aux institutions bancaires, leur demandant de contribuer à la souscription ouverte à cet effet, en lisant quelques réponses et les offres et cadeaux, ainsi que les dons reçus à ce jour, qui totalisent environ vingt mille pesetas. »
José Galiay, directeur du musée mentionné par Monreal, déplore que « le refus du maire s'accompagnait du silence de la Banque d'Aragon, qui est restée silencieuse, bien qu'elle soit l'entreprise où le Patronat dépose ses fonds ».
Lors de la même réunion, le conseil d'administration a décidé de cesser de collaborer avec la Banque d'Aragon et d'ouvrir un compte à la Caisse générale d'épargne et de crédit de Saragosse.
Le dossier original est actuellement inaccessible en raison de travaux de rénovation au musée, qui prendront deux à trois ans, selon des sources au sein de l'institution.
Parallèlement, le MNAC analyse l'état actuel des peintures, installées sur des structures artificielles depuis six décennies. Un ascenseur dessert actuellement la salle dédiée à Sijena.
Le directeur de l'institution, Pepe Serra, prépare un ensemble de rapports qui seront rédigés par ses propres techniciens et des experts internationaux, parmi lesquels Simona Sajeva, présidente du Comité scientifique international sur la peinture murale du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), l'une des plus grandes expertes mondiales en la matière.
L'avocat de Sijena dans le litige, Jorge Español, a accusé hier le MNAC sur Radio Huesca de vouloir retarder l'exécution de la décision, tout en reconnaissant que le monastère n'est pas un musée et qu'il doit « devenir un musée de facto », où des « conservateurs et des experts » doivent être présents pour maintenir les œuvres d'art en parfait état. « Le MNAC, voyant que nous n'avons pas ce projet ou ne croyant pas au projet présenté par le Gouvernement d'Aragon, se cache derrière cela… en gros, ce qu'ils disent, ce n'est pas tant qu'ils ne peuvent pas être déplacés, mais que les peintures sont mieux conservées à Barcelone qu'à Sijena ; c'est un argument fallacieux », a-t-il déclaré hier.
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