Benjamin Lucas : « Les entreprises doivent apprendre à être redevables devant la puissance publique et les Français »

Devant la multiplication des plans de licenciements dans le pays, le parlementaire, qui siège au groupe Écologiste et social, a enquêté sur la passivité de l’État et la rapacité du patronat. Il appelle à renforcer le pouvoir des syndicats et envisage la création d’une haute autorité de contrôle des aides publiques.
Face à la casse de l’emploi, y compris dans des secteurs économiques clés, comment l’action de l’État doit-elle évoluer, selon vous ?
Les critères du licenciement économique doivent absolument être revus pour que les choses soient examinées à l’échelle du groupe et non d’une seule usine. Il faut, de plus, vite définir ce qu’est la sauvegarde de la compétitivité, dont les contours sont flous. Et l’administration publique doit avoir un droit de regard dès le départ de la procédure pour apprécier le motif économique du licenciement.
Aujourd’hui, le contrôle du juge est en toute fin de procédure. En cas de plan de sauvegarde de l’emploi, les élus devraient aussi avoir un droit de veto suspensif. On ne cesse de parler de la valeur travail : revalorisons les travailleurs en donnant plus de pouvoir à leurs représentants ! Je propose donc de doubler le nombre d’administrateurs salariés. Par ailleurs, il est nécessaire de mieux encadrer les ruptures conventionnelles collectives, et de renforcer le modèle des entreprises coopératives.
Plaidez-vous pour la création d’une instance, au-delà des ministères du Travail et de l’Économie ?
J’envisage de proposer une haute autorité de contrôle des aides publiques. Elle pourrait suspendre les aides, exiger leur remboursement, demander de la transparence. Elle serait composée de représentants des syndicats, du patronat et d’élus locaux. Souvent, une entreprise qui verse des dividendes aux actionnaires a les moyens d’investir. Je ne dis pas qu’il faut une règle automatique ; car verser des dividendes est une manière de trouver des investisseurs. Mais dès que des bénéfices sont distribués, il faut regarder s’il y a besoin ou non d’aides publiques.
Dans ce cadre, je propose aussi la mise en place d’une commission permanente sur les aides publiques aux entreprises. Ainsi, lors de l’examen du budget, la représentation nationale aura un regard sur ce qui s’est fait. Même si nous ne donnions pas d’aides, les entreprises bénéficient de salariés formés dans une école publique de qualité, d’hôpitaux qui soignent les maladies professionnelles, d’infrastructures routières, de la puissance publique pour affronter le changement climatique. Les directions d’entreprise doivent apprendre à être redevables devant la puissance publique et les Français.
Que retenez-vous de vos échanges avec les syndicalistes ?
Un grand courage. J’assume l’idée que la commission puisse être une tribune pour les syndicalistes. Je retiens la très grande expertise qu’ils ont de la situation et de l’économie en général. Les auditions confirment la nécessité que les représentants des salariés aient prise sur les choix stratégiques.
Car, dans les mois qui précèdent un plan de licenciements, il y a systématiquement une alerte des organisations syndicales sur la stratégie de l’entreprise. La façon dont les représentants des travailleurs et les salariés peuvent faire irruption dans les orientations stratégiques des groupes me paraît être un chantier important. Du fait du turnover des directions, les syndicalistes qui sont là depuis trente ans sont souvent ceux qui connaissent le mieux l’outil de travail.
Est-ce le rôle de la gauche que d’ausculter le capitalisme français ?
Plus que de l’ausculter, le rôle de la gauche est d’encadrer et d’affronter le capitalisme français quand c’est nécessaire. Sinon, à quoi sert la gauche ? Ce qui se joue en ce moment est notre contrat social. Le discours aujourd’hui est de supprimer les services publics du fait de la dette.
Dans le même temps, il n’y a aucun contrôle des aides publiques. Ce qui se joue est notre capacité à faire société. Par ailleurs, il est impératif de se doter de la capacité de nationaliser temporairement des entreprises dans des secteurs stratégiques. Ce n’est pas la seule solution mais, dans une négociation, il faut que celui qui est face à vous sache que vous pouvez aller jusqu’à le priver de son outil de production.
Qu’avez-vous appris du patronat ?
En audition, j’ai trouvé en face de moi des gens qui ont une nonchalance, alors qu’on parlait de salariés, de vies humaines, de territoires. Je distingue les grands capitalistes, actionnaires, des vrais chefs d’entreprise qui se battent aux côtés des salariés. Certains patrons avaient une forme de mépris pour les parlementaires, se plaignant de devoir répondre. Mais un demandeur d’emploi doit justifier auprès d’un conseiller qu’il est en recherche d’activité. Quand vous êtes patron, il est normal de venir de temps en temps devant le Parlement.
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
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